jeudi 16 novembre 2017

Le Hasard d'Anastase.


Salve !

Je vous présente la nouvelle que j’ai écrite cette année pour le concours 48 heures pour écrire d’Edilivre. 


Elle est arrivée 11e , ce qui m’a surprise. Non pas que je manque de confiance en moi, mais la genèse de cette nouvelle a été pour le moins étrange et je ne m’attendais pas à ce qu’elle fasse un aussi bon score.


Le fameux week-end du concours, j’étais malade avec quelques poussées de fièvre, nauséeuse, pas inspirée par la thématique (le futur) et j’ai vraiment écrit quelque chose pour écrire quelque chose.

Je vais donner quelques explications sur la création de la nouvelle. Vous pouvez les sauter si vous ne voulez pas des infos qui orientent votre lecture. ;-) 

*O*

N'ayant pas été pas inspirée sur le moment, je suis allée piocher des idées dans mes autres textes. J’ai deux projets de romans fantaisistes en plusieurs tomes : Néréis et Mug Island

J’ai emprunté à Néréis l’idée que le futur révélé se fige et devient impossible à éviter. Dans Mug Island, une histoire de piraterie, j’ai pioché les deux personnages principaux de la nouvelle : Anastase et Sileas Orpheen, un frère et une sœur.

Dans Mug Island, Anastase est atteint d’un mal incurable et c’est sa sœur qui le maintient en vie grâce à une pièce qu’elle tire à pile ou face pour trouver les différents… « procédés » de le sauver, si la pièce le veut, bien sur. J’ai repris l’idée d’un Anastase fébrile et faible, obligé de compter sur Sileas pour s’en sortir. Sileas ne possède pas de sens moral, toutes ses actions lui sont dictées par la pièce de cuivre qu’elle possède. Il est sous-entendu dans l’histoire qu’il y a évidemment quelque chose ou quelqu’un derrière la pièce. J’ai repris l’idée de la pièce et de la destinée pour la nouvelle mais j’ai trouvé une autre explication au fait que Sileas y ait recours.

Et c’est ce qui m’a fait peur pour cette nouvelle : habituellement, quand j’écris une histoire brève (le récit ne doit pas excéder 10 000 caractères, espace compris, pour concourir, et c’est vraiment COURT), je ne caractérise pas beaucoup les lieux ou les personnages pour pouvoir me concentrer sur l’action pure, je reste dans le symbole. Mais là, je me suis retrouvée à instaurer un back ground que je ne pouvais pas approfondir, d’où l’impression d’avoir créé un « décor » patchwork complètement bâtard. 

J’ai essayé d’être la plus synthétique et cohérente possible, mais je craignais de ne pas réussir à instaurer une ambiance à force de balancer des infos aux lecteurs.

Pour inventer l’île où se déroule l’action, je me suis inspirée de la mythologie grecque et des Moires, les divinités du Destin. (Que c’est original pour une prof de latin… * se cache dans un trou… * )

Je n’ai même pas eu le temps de décrire précisément les personnages. Je me suis contentée d’affirmer leur personnalité du mieux que je pouvais en si peu de lignes.
Sileas, on lui donnerait le bon Dieu sans confession… 
Le conditionnel est important.


Quand j’ai raconté le principe de ce récit à ma sœur de cœur et de plume, Kaminae, elle a trouvé le mot juste en me disant : on dirait une fanfiction. Et c’est exactement cela, j’ai vraiment eu l’impression d’écrire une fanfic sur l’un de mes univers. D’ailleurs, j’ai signé la nouvelle de mon ancien pseudo sur internet, celui que j’utilisais quand j’écrivais des fanfics : Lunécume.

En outre, il y a quand même deux références à des bande-dessinées très connues : j’emploie l’expression « l’oiseau du temps » (Loisel, es-tu là ?) et la pièce de Sileas rappelle bien évidemment un méchant de l’univers de Batman. Patchwork, patchwork…

Concernant le titre, j’ai longuement hésité. Dans Mug Island, il est prévu un tome qui se nommerait « les Hasards de Sileas » mais dans la nouvelle c’est le glissement d’Anastase vers le futur qui provoque l’action. Le titre est donc devenu « le Hasard d’Anastase ». J’aime beaucoup la prononciation de ce groupe nominal. 



Allez, trêve de bavardages, bonne lecture ! ^^




*O*


Le Hasard d’Anastase.



Et le frère et la sœur ont la peur pour partage.

L’étrange ritournelle de l’oiseau du Temps se figea dans les airs, aussi bien qu’une pierre aux accents funéraires. Anastase jeta sur sa sœur un regard sidéré. Sileas considéra son frère d’un sourcil perplexe. Le silence, d’abord, puis la consternation.

Le tic-tac même de l’horloge tintait par son absence. La jeune fille compta, comme si les chiffres se succédant allaient remettre le Temps en route. Elle claqua des doigts, une fois, deux fois, trois fois… et les aiguilles de l’horloge se firent à nouveau entendre. Le chant de l’oiseau s’éleva. Un sourire sans joie défigura le visage de Sileas. Son frère se montra plus pâle qu’un rayon de lune. La bête à plumes ne tarda pas à lâcher un présage de sa voix sinistre et mélodieuse :

Tout se brise
Et s’écrase
Quand s’enlise
Anastase.

-          - Oh, mon frère… dit doucement Sileas d’un air désolé, tout en conservant son flegme légendaire.
-          - Puis-je compter sur toi, ma sœur, répliqua l’autre avec précipitation, m’aideras-tu ?
Elle sortit de sa poche une pièce de cuivre et la jeta en l’air…
-         -  Le Hasard décide, Anastase.
… avant de la réceptionner dans le creux de sa main. Elle observa le verdict.
-          - Je t’aiderai, répondit-elle sereinement.  

Ils quittèrent leur maisonnée de bois à l’orée de la forêt. Sileas seconda son frère de même qu’une canne robuste taillée dans un chêne millénaire. Il leur fallait de l’aide et ils la trouveraient dans la Citadelle d’albâtre qui dominait leur île, celle de la Moïra. Une île rescapée où ceux qui avait pu éviter le Fléau s’étaient réfugiés, où on savait les dangers de la démesure et de l’arrogance humaine. Mais il y avait des règles à respecter.

Il ne fallait pas jouer avec ce que le Temps avait de plus vaporeux et de sournois.

La Moïra, déesse de la Destinée, se déclinait en trois divinités subalternes qui représentaient les diverses facettes de l’existence, les tisseuses qui filaient le fil du Temps : Clotho, à la fois naissance et passé, Lachésis la vie, ses vicissitudes et le présent, et Atropos l’avenir ponctué par la mort souveraine.

Le passé tout de marbre gravé sur les murs blancs de la Citadelle s’avérait sans danger. On ne pouvait le modifier : impossible de tricher avec lui. Du Temps on ne touchait que l’instant du présent. Celui-là était plus ambigu compte tenu de sa nature volage et toujours changeante. Mais au moment même où on cherche à le manipuler, le présent devient passé, et passé est inchangé. Non, ni le passé, ni le présent ne posait problème. Et les mots gravés sur le fronton du palais du Gouverneur en témoignaient :

Le passé immuable
Rend le repos palpable.
Le présent si mouvant
Ne nous nuit nullement.

L’épineuse question, l’éternel dilemme, c’était le futur.

L’avenir, sombre ou d’or
N’existe pas encore.

Le futur se montre dangereux car il englobe tout le champ des possibles. A vouloir le contrôler, le réduire au rang de choses, on provoquait une colère sourde et mystique. Le pêché d’Hybris suscitait le courroux de l’abime.

Il ne fallait ni projeter, ni prévoir… Rendre l’inimaginable tangible ne provoquait que ruine et désolation. Et tous le savaient sur l’ile puisqu’ils avaient été les témoins du cataclysme ultime. Pour éviter qu’une telle catastrophe ne pointe encore le bout de son museau perfide, on apprenait très tôt aux enfants à ne plus parler au futur. La procrastination devint une notion à éviter. On profitait du présent, on l’usait jusqu’à la corde, et cette corde, ce fil de la Destinée, n’était plus à redouter puisqu’on abandonnait l’idée de le tisser. Pas de lendemain, juste aujourd’hui, maintenant et pour toujours.

Mais Anastase, maigre garçon tout blême et tout rempli d’idées et de rêves, avait voulu saisir son avenir. Il s’était rêvé, projeté, au sens littéral du terme, et avait glissé. Un pas de travers, et son corps, son cœur, s’était perdu dans une faille, dans la nuée ardente du futur. 
Oh, ce ne fut pas long ! En un clignement d’œil, il avait retrouvé le présent, sa maisonnée et sa sœur. Mais le mal était fait.

En voyant le futur, il l’avait figé, comme s’il s’agissait d’un passé. Et ce futur rendu immobile comme une statue se réaliserait, quoiqu’il arrive, à la manière d’une prophétie qu’on auto-réalise en tentant de l’esquiver.

Ils pénétrèrent dans la citadelle. Ils y étaient déjà attendus par une troupe de gens et d’enfants inquiets et furent sèchement accueillis par le Gouverneur de la Moïra. On les poussa à l’intérieur d’un hémicycle, en position d’accusés, raides et immobiles au centre du demi-cercle. En hauteur, des métopes de succédaient avec des inscriptions sibyllines. L’assemblée se remplit gouttes à gouttes. La salle, malgré la foule, demeurait silencieuse comme un cimetière. Trois juges encapuchonnés se levèrent. Le premier énonça :

Aveugle était Clotho,
Première du troupeau,
Toujours toute trempée
Du sang de Destinée.
Le deuxième juge clama :
Borgne était Lachésis,
Si blanche au cœur de Lys.
Deuxième demoiselle
De la Toile éternelle.
Le troisième conclut :
Clairvoyante Atropos,
Mégère au sceptre d’os,
Ses yeux cernés d’airain
Ont le savoir divin.

Puis les deux premiers juges se rassirent. Seul le dernier resta debout, car c’était Atropos que les deux jeunes gens avaient offensée.
-        - Ce matin, toutes les horloges de la ville ont marqué un arrêt, en même temps. Cela ne nous a pas échappés, tristes enfants que vous êtes. L’oiseau du Temps vous a-t-il parlé ? Quel crime avez-vous donc commis ?
Anastase baissait la tête, toujours plus blême, toujours plus faible. Sileas consulta sa pièce de cuivre avant que de répondre :
-         - L’oiseau nous a bien parlé. Mon frère que vous voyez, fébrile et repentant, a glissé dans le futur par mégarde. Il a vu ce qu’il n’aurait jamais dû voir.
Un murmure hostile parcourut l’assemblée. Le juge s’enquit, la voix plus profonde et plus féroce qu’auparavant :
-          - Et qu’a dit l’oiseau ?
La jeune fille s’en référa encore à sa pièce.
-          - Qu’a dit l’oiseau ? répéta le juge, son ton devenu clairement menaçant.
Et Sileas sourit à la manière d’un croissant de lune :

Tout s’écœure
Et s’écrase
Quand se meurt
Anastase.

Les paroles fusèrent de toute part. Le Gouverneur se pencha vers le juge, intrigué par les vers énigmatiques de l’oiseau. Le trépas d’Anastase semblait promettre un avenir bien sombre à leur île. Bientôt des cris de colère retentirent de part et d’autres.
-          - Stupide garçon ! gronda le juge, tu nous as tous perdus ! Et nous ne pouvons même pas te mettre à mort !
Le jeune homme n’osait pas relever le regard. Sileas conservait un aplomb exemplaire dans le mensonge.
-        -  Il faut le garder en vie le plus longtemps possible, nous aviserons ensuite !
Des miliciens s’approchèrent pour s’emparer d’Anastase. Sileas eut le temps de l’attraper par l’épaule pour lui chuchoter à l’oreille :
-        -  Pour contrer le destin, il nous faut le Hasard. Pour briser l’Harmonie, un bon coup de Chaos !
Et elle lâcha son frère qu’on emprisonna dans la foulée.

Sileas se posta sur l’une des murailles de la cité, contemplant l’horizon teinté de feux crépusculaires. Tout se brise et s’écrase quand s’enlise Anastase… Son frère avait pris place dans une prison dorée, au sommet de la tour la plus haute. On le bichonnerait, prendrait soin de lui, le préserverait autant que faire se peut. Mais on le laisserait seul, comme un rat, sans loisir ni divertissement.

En changeant les vers de l’oiseau, elle lui avait sauvé la vie. Mais elle avait condamné le reste de l’île. Elle fit rouler sa pièce de cuivre entre ses doigts.

Et en effet, le pauvre Anastase, enfermé, isolé, coupé du monde, ne tarda pas à sombrer, à s’enliser, dans un ennui mortel. Il glissait ses yeux par les fentes des meurtrières et guettait un signe, un geste, de sa sœur.

Alors tout commença. Les bords de l’île sombrèrent dans les abysses. Des secousses, la terre meule qui se gonfle et se perce, le ciel paré de flammes étranges et nouvelles. Un nouveau cataclysme. On vit l’oiseau du Temps s’envoler pour ne jamais revenir.

Une onde de choc, semblant venir de l’océan tout entier, convergea vers le petit bout de terre. Sileas, toujours debout, toujours battante, consulta sa pièce.

Anastase, l’esprit au bord du gouffre, ne voyait rien mais le bruit tonitruant le transit d’horreur. Des cris, des hurlements, dont celui du sol qui s’ouvre et s’épanche, des murs blancs qui s’effondrent et la fin d’un tout. Seule la tour où demeurait Anastase demeura indemne. Il trembla.

Au bout de quelques heures, un silence sidérant régna sur ce qu’il restait de l’île… Il entendit qu’on grattait à la porte de sa geôle. Les gonds sautèrent et Sileas apparut, armée d’une barre de fer. Elle lui ordonna de la suivre et, trouvant une fenêtre brisée dans l’escalier en colimaçon, ils grimpèrent pour s’installer sur le toit de tuile.

Un paysage de désolation s’offrait à perte vue : l’île n’était plus qu’un amas d’arbres, de cadavres, de débris, de murs effondrés et d’eau stagnante.
-          - Comment t’en es-tu sortie ? s’enquit son frère.
-         -  La pièce, répondit Sileas.
Il frissonnait dans l’air humide et pourtant chaud des cris et des morts qui avaient tantôt retenti.
-         - Alors mon frère, ce charmant tableau correspond-il à ce que tu as vu dans le futur ?
Le jeune homme ne put répondre, sa gorge rendue épaisse par l’angoisse et la culpabilité. Sileas avait la stature d’une colonne de marbre que rien ne saurait ébranler. Anastase se fit violence pour poursuivre :
-         -  Comment fais-tu, ma sœur, pour ne jamais douter. Pour ne jamais faire machine arrière ?
Elle eut comme du soleil dans la voix :
-          - Disons que j’ai moi aussi vu quelque chose et que je sais.
Le garçon écarquilla largement ses mirettes :
-          - Tu as donc déjà glissé, toi aussi…
-          - Oui, mais plus maligne que toi, personne ne l’a remarqué.
-         -  Et qu’as-tu vu dans le futur ?
-         - Tu ne le sauras jamais. Enfin, sauf si la Moïra le veut !
Anastase déglutit :
-         -  Dis-moi au moins ce qu’a chanté l’oiseau du Temps à ton retour !

Et Sileas s’orna d’un sourire fin et quelque peu narquois :

Dans ta main
Pile ou face…

Le Destin,
Sileas,
Guidera
Tous tes pas.

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