Salve !
Je vous présente la nouvelle que
j’ai écrite cette année pour le concours 48 heures pour écrire d’Edilivre.
Elle
est arrivée 11e , ce qui m’a surprise. Non pas que je manque de
confiance en moi, mais la genèse de cette nouvelle a été pour le moins étrange
et je ne m’attendais pas à ce qu’elle fasse un aussi bon score.
Le fameux week-end du concours, j’étais
malade avec quelques poussées de fièvre, nauséeuse, pas inspirée par la
thématique (le futur) et j’ai vraiment écrit quelque chose pour écrire quelque
chose.
Je vais donner quelques
explications sur la création de la nouvelle. Vous pouvez les sauter si vous ne
voulez pas des infos qui orientent votre lecture. ;-)
*O*
N'ayant pas été pas inspirée sur le moment, je suis
allée piocher des idées dans mes autres textes. J’ai deux projets de romans
fantaisistes en plusieurs tomes : Néréis et Mug Island.
J’ai emprunté à
Néréis l’idée que le futur révélé se fige et devient impossible à éviter. Dans
Mug Island, une histoire de piraterie, j’ai pioché les deux personnages
principaux de la nouvelle : Anastase et Sileas Orpheen, un frère et une sœur.
Dans Mug Island, Anastase est
atteint d’un mal incurable et c’est sa sœur qui le maintient en vie grâce à une
pièce qu’elle tire à pile ou face pour trouver les différents… « procédés »
de le sauver, si la pièce le veut, bien sur. J’ai repris l’idée d’un Anastase
fébrile et faible, obligé de compter sur Sileas pour s’en sortir. Sileas ne
possède pas de sens moral, toutes ses actions lui sont dictées par la pièce de
cuivre qu’elle possède. Il est sous-entendu dans l’histoire qu’il y a évidemment
quelque chose ou quelqu’un derrière la pièce. J’ai repris l’idée de la pièce et
de la destinée pour la nouvelle mais j’ai trouvé une autre explication au fait
que Sileas y ait recours.
Et c’est ce qui m’a fait peur
pour cette nouvelle : habituellement, quand j’écris une histoire brève (le
récit ne doit pas excéder 10 000 caractères, espace compris, pour
concourir, et c’est vraiment COURT), je ne caractérise pas beaucoup les lieux
ou les personnages pour pouvoir me concentrer sur l’action pure, je reste dans
le symbole. Mais là, je me suis retrouvée à instaurer un back ground que je ne
pouvais pas approfondir, d’où l’impression d’avoir créé un « décor »
patchwork complètement bâtard.
J’ai
essayé d’être la plus synthétique et cohérente possible, mais je craignais de
ne pas réussir à instaurer une ambiance à force de balancer des infos aux
lecteurs.
Pour inventer l’île où se déroule
l’action, je me suis inspirée de la mythologie grecque et des Moires, les
divinités du Destin. (Que c’est original pour une prof de latin… * se cache
dans un trou… * )
Je n’ai même pas eu le temps de
décrire précisément les personnages. Je me suis contentée d’affirmer leur personnalité
du mieux que je pouvais en si peu de lignes.
Sileas, on lui donnerait le bon
Dieu sans confession…
Le conditionnel est important.
Le conditionnel est important.
Quand j’ai raconté le principe de
ce récit à ma sœur de cœur et de plume, Kaminae, elle a trouvé le mot juste en
me disant : on dirait une fanfiction. Et c’est exactement cela, j’ai
vraiment eu l’impression d’écrire une fanfic sur l’un de mes univers. D’ailleurs,
j’ai signé la nouvelle de mon ancien pseudo sur internet, celui que j’utilisais
quand j’écrivais des fanfics : Lunécume.
En outre, il y a quand même deux
références à des bande-dessinées très connues : j’emploie l’expression « l’oiseau
du temps » (Loisel, es-tu là ?) et la pièce de Sileas rappelle bien
évidemment un méchant de l’univers de Batman. Patchwork, patchwork…
Concernant le titre, j’ai
longuement hésité. Dans Mug Island, il est prévu un tome qui se nommerait « les
Hasards de Sileas » mais dans la nouvelle c’est le glissement d’Anastase
vers le futur qui provoque l’action. Le titre est donc devenu « le Hasard
d’Anastase ». J’aime beaucoup la prononciation de ce groupe nominal.
Allez, trêve de bavardages, bonne lecture ! ^^
Allez, trêve de bavardages, bonne lecture ! ^^
*O*
Le Hasard d’Anastase.
Et le frère et la sœur ont la peur pour
partage.
L’étrange ritournelle de l’oiseau du Temps
se figea dans les airs, aussi bien qu’une pierre aux accents funéraires.
Anastase jeta sur sa sœur un regard sidéré. Sileas considéra son frère d’un
sourcil perplexe. Le silence, d’abord, puis la consternation.
Le tic-tac même de l’horloge tintait par
son absence. La jeune fille compta, comme si les chiffres se succédant allaient
remettre le Temps en route. Elle claqua des doigts, une fois, deux fois, trois
fois… et les aiguilles de l’horloge se firent à nouveau entendre. Le chant de
l’oiseau s’éleva. Un sourire sans joie défigura le visage de Sileas. Son frère
se montra plus pâle qu’un rayon de lune. La bête à plumes ne tarda pas à lâcher
un présage de sa voix sinistre et mélodieuse :
Tout
se brise
Et
s’écrase
Quand
s’enlise
Anastase.
- - Oh,
mon frère… dit doucement Sileas d’un air désolé, tout en conservant son flegme
légendaire.
- - Puis-je
compter sur toi, ma sœur, répliqua l’autre avec précipitation,
m’aideras-tu ?
Elle
sortit de sa poche une pièce de cuivre et la jeta en l’air…
- - Le
Hasard décide, Anastase.
…
avant de la réceptionner dans le creux de sa main. Elle observa le verdict.
- - Je
t’aiderai, répondit-elle sereinement.
Ils quittèrent leur maisonnée de bois à
l’orée de la forêt. Sileas seconda son frère de même qu’une canne robuste
taillée dans un chêne millénaire. Il leur fallait de l’aide et ils la
trouveraient dans la Citadelle d’albâtre qui dominait leur île, celle de la
Moïra. Une île rescapée où ceux qui avait pu éviter le Fléau s’étaient
réfugiés, où on savait les dangers de la démesure et de l’arrogance humaine. Mais
il y avait des règles à respecter.
Il ne fallait pas jouer avec ce que le
Temps avait de plus vaporeux et de sournois.
La Moïra, déesse de la Destinée, se
déclinait en trois divinités subalternes qui représentaient les diverses
facettes de l’existence, les tisseuses qui filaient le fil du Temps :
Clotho, à la fois naissance et passé, Lachésis la vie, ses vicissitudes et le
présent, et Atropos l’avenir ponctué par la mort souveraine.
Le passé tout de marbre gravé sur les murs
blancs de la Citadelle s’avérait sans danger. On ne pouvait le modifier :
impossible de tricher avec lui. Du Temps on ne touchait que l’instant du
présent. Celui-là était plus ambigu compte tenu de sa nature volage et toujours
changeante. Mais au moment même où on cherche à le manipuler, le présent
devient passé, et passé est inchangé. Non, ni le passé, ni le présent ne posait
problème. Et les mots gravés sur le fronton du palais du Gouverneur en
témoignaient :
Le
passé immuable
Rend
le repos palpable.
Le
présent si mouvant
Ne
nous nuit nullement.
L’épineuse question, l’éternel dilemme,
c’était le futur.
L’avenir,
sombre ou d’or
N’existe
pas encore.
Le futur se montre dangereux car il englobe
tout le champ des possibles. A vouloir le contrôler, le réduire au rang de
choses, on provoquait une colère sourde et mystique. Le pêché d’Hybris
suscitait le courroux de l’abime.
Il ne fallait ni projeter, ni prévoir…
Rendre l’inimaginable tangible ne provoquait que ruine et désolation. Et tous
le savaient sur l’ile puisqu’ils avaient été les témoins du cataclysme ultime.
Pour éviter qu’une telle catastrophe ne pointe encore le bout de son museau
perfide, on apprenait très tôt aux enfants à ne plus parler au futur. La
procrastination devint une notion à éviter. On profitait du présent, on l’usait
jusqu’à la corde, et cette corde, ce fil de la Destinée, n’était plus à
redouter puisqu’on abandonnait l’idée de le tisser. Pas de lendemain, juste aujourd’hui,
maintenant et pour toujours.
Mais Anastase, maigre garçon tout blême et
tout rempli d’idées et de rêves, avait voulu saisir son avenir. Il s’était
rêvé, projeté, au sens littéral du terme, et avait glissé. Un pas de travers,
et son corps, son cœur, s’était perdu dans une faille, dans la nuée ardente du
futur.
Oh, ce ne fut pas long ! En un clignement d’œil, il avait retrouvé
le présent, sa maisonnée et sa sœur. Mais le mal était fait.
En voyant le futur, il l’avait figé, comme
s’il s’agissait d’un passé. Et ce futur rendu immobile comme une statue se
réaliserait, quoiqu’il arrive, à la manière d’une prophétie qu’on auto-réalise
en tentant de l’esquiver.
Ils pénétrèrent dans la citadelle. Ils y
étaient déjà attendus par une troupe de gens et d’enfants inquiets et furent
sèchement accueillis par le Gouverneur de la Moïra. On les poussa à l’intérieur
d’un hémicycle, en position d’accusés, raides et immobiles au centre du
demi-cercle. En hauteur, des métopes de succédaient avec des inscriptions
sibyllines. L’assemblée se remplit gouttes à gouttes. La salle, malgré la
foule, demeurait silencieuse comme un cimetière. Trois juges encapuchonnés se
levèrent. Le premier énonça :
Aveugle
était Clotho,
Première
du troupeau,
Toujours
toute trempée
Du
sang de Destinée.
Le deuxième juge clama :
Borgne
était Lachésis,
Si
blanche au cœur de Lys.
Deuxième
demoiselle
De
la Toile éternelle.
Le troisième conclut :
Clairvoyante
Atropos,
Mégère
au sceptre d’os,
Ses
yeux cernés d’airain
Ont
le savoir divin.
Puis les deux premiers juges se rassirent.
Seul le dernier resta debout, car c’était Atropos que les deux jeunes gens
avaient offensée.
- - Ce
matin, toutes les horloges de la ville ont marqué un arrêt, en même temps. Cela
ne nous a pas échappés, tristes enfants que vous êtes. L’oiseau du Temps vous
a-t-il parlé ? Quel crime avez-vous donc commis ?
Anastase baissait la tête, toujours plus
blême, toujours plus faible. Sileas consulta sa pièce de cuivre avant que de
répondre :
- - L’oiseau
nous a bien parlé. Mon frère que vous voyez, fébrile et repentant, a glissé
dans le futur par mégarde. Il a vu ce qu’il n’aurait jamais dû voir.
Un murmure hostile parcourut l’assemblée.
Le juge s’enquit, la voix plus profonde et plus féroce qu’auparavant :
- - Et
qu’a dit l’oiseau ?
La jeune fille s’en référa encore à sa
pièce.
- - Qu’a
dit l’oiseau ? répéta le juge, son ton devenu clairement menaçant.
Et Sileas sourit à la manière d’un
croissant de lune :
Tout s’écœure
Et s’écrase
Quand se meurt
Anastase.
Les paroles fusèrent de toute part. Le
Gouverneur se pencha vers le juge, intrigué par les vers énigmatiques de
l’oiseau. Le trépas d’Anastase semblait promettre un avenir bien sombre à leur
île. Bientôt des cris de colère retentirent de part et d’autres.
- - Stupide
garçon ! gronda le juge, tu nous as tous perdus ! Et nous ne pouvons
même pas te mettre à mort !
Le jeune homme n’osait pas relever le
regard. Sileas conservait un aplomb exemplaire dans le mensonge.
- - Il
faut le garder en vie le plus longtemps possible, nous aviserons ensuite !
Des miliciens s’approchèrent pour s’emparer
d’Anastase. Sileas eut le temps de l’attraper par l’épaule pour lui chuchoter à
l’oreille :
- - Pour
contrer le destin, il nous faut le Hasard. Pour briser l’Harmonie, un bon coup
de Chaos !
Et elle lâcha son frère qu’on emprisonna
dans la foulée.
Sileas se posta sur l’une des murailles de
la cité, contemplant l’horizon teinté de feux crépusculaires. Tout se brise et s’écrase quand s’enlise
Anastase… Son frère avait pris place dans une prison dorée, au sommet de la
tour la plus haute. On le bichonnerait, prendrait soin de lui, le préserverait
autant que faire se peut. Mais on le laisserait seul, comme un rat, sans loisir
ni divertissement.
En changeant les vers de l’oiseau, elle lui
avait sauvé la vie. Mais elle avait condamné le reste de l’île. Elle fit rouler
sa pièce de cuivre entre ses doigts.
Et en effet, le pauvre Anastase, enfermé,
isolé, coupé du monde, ne tarda pas à sombrer, à s’enliser, dans un ennui mortel. Il glissait ses yeux par les
fentes des meurtrières et guettait un signe, un geste, de sa sœur.
Alors tout commença. Les bords de l’île
sombrèrent dans les abysses. Des secousses, la terre meule qui se gonfle et se
perce, le ciel paré de flammes étranges et nouvelles. Un nouveau cataclysme. On
vit l’oiseau du Temps s’envoler pour ne jamais revenir.
Une onde de choc, semblant venir de l’océan
tout entier, convergea vers le petit bout de terre. Sileas, toujours debout,
toujours battante, consulta sa pièce.
Anastase, l’esprit au bord du gouffre, ne
voyait rien mais le bruit tonitruant le transit d’horreur. Des cris, des
hurlements, dont celui du sol qui s’ouvre et s’épanche, des murs blancs qui
s’effondrent et la fin d’un tout. Seule la tour où demeurait Anastase demeura
indemne. Il trembla.
Au bout de quelques heures, un silence
sidérant régna sur ce qu’il restait de l’île… Il entendit qu’on grattait à la
porte de sa geôle. Les gonds sautèrent et Sileas apparut, armée d’une barre de
fer. Elle lui ordonna de la suivre et, trouvant une fenêtre brisée dans
l’escalier en colimaçon, ils grimpèrent pour s’installer sur le toit de tuile.
Un paysage de désolation s’offrait à perte
vue : l’île n’était plus qu’un amas d’arbres, de cadavres, de débris, de
murs effondrés et d’eau stagnante.
- - Comment
t’en es-tu sortie ? s’enquit son frère.
- - La
pièce, répondit Sileas.
Il frissonnait dans l’air humide et
pourtant chaud des cris et des morts qui avaient tantôt retenti.
- - Alors
mon frère, ce charmant tableau correspond-il à ce que tu as vu dans le
futur ?
Le jeune homme ne put répondre, sa gorge
rendue épaisse par l’angoisse et la culpabilité. Sileas avait la stature d’une
colonne de marbre que rien ne saurait ébranler. Anastase se fit violence pour
poursuivre :
- - Comment
fais-tu, ma sœur, pour ne jamais douter. Pour ne jamais faire machine
arrière ?
Elle eut comme du soleil dans la voix :
- - Disons
que j’ai moi aussi vu quelque chose
et que je sais.
Le garçon écarquilla largement ses mirettes :
- - Tu as
donc déjà glissé, toi aussi…
- - Oui,
mais plus maligne que toi, personne ne l’a remarqué.
- - Et
qu’as-tu vu dans le futur ?
- - Tu ne
le sauras jamais. Enfin, sauf si la Moïra le veut !
Anastase déglutit :
- - Dis-moi
au moins ce qu’a chanté l’oiseau du Temps à ton retour !
Et Sileas s’orna d’un sourire fin et
quelque peu narquois :
Dans
ta main
Pile
ou face…
Le
Destin,
Sileas,
Guidera
Tous
tes pas.