Ou comment j’ai découvert le vrai sens de mon existence.
(Sous-titre rajouté par mon chéri.)
A la base, j’ai choisi le métier
de professeurs pour les raisons suivantes : premièrement, j’excellais à
l’école et m’y sentais en sécurité ; deuxièmement, je voulais garder le
même rythme de vacances que j’avais toujours eu ; troisièmement, je
pensais que ce choix me laisserait le temps qu’il faudrait pour m’adonner à ma
vraie passion : l’écriture.
Cependant, les premières années,
je me suis vraiment prise au jeu, quitte à délaisser ma vie personnelle et mes
projets d’écriture. J’investissais tout mon temps dans des projets, tenais un
club, participais activement au FSE, étais professeur principal et membre du
CA… Ma vie, c’était mon travail. Je ne pensais, respirais, mangeais, dormais
que par lui.
Puis vinrent les déconvenues :
la réforme du collège qui a massacré mes heures de latin, un supérieur qui m’a injustement
mis des bâtons dans les roues, des élèves consuméristes qui veulent arrêter
l’option dès qu’ils ont obtenu leur voyage, un manque d’investissement général lors
des projets qui s’est soldé par un immense sentiment de solitude.
Je me souviens de la dernière
année où j’ai organisé un loto pour faire baisser le prix du voyage à Rome de
près de 100 euros par élève, je n’avais pas assez de lots pour faire mes
paniers garnis. Je suis passée dans toutes les classes, ai demandé de l’aide
aux premiers concernés, mes latinistes, et j’ai reçu… deux paquets de pâtes… 18
classes, entre 400 et 500 élèves, deux paquets de pâte. Concernant les
commerçants de la ville où se situe mon collège, obtenir des lots de leur part
demandait du temps : il fallait passer les voir en septembre pour obtenir
une promesse de lots. Un mois plus tard, je repassais pour prendre les
lots : ils n’étaient pas prêts pour la plupart, je devais repasser une
troisième fois voire une quatrième fois.
En plus, cette année-là, un parent est
passé avant moi les récupérer sans m’en avertir (et selon certains commerçants,
il ne m’aurait pas tout remis).
Cerise sur le gâteau, une commerçante qui m’avait
promis un lot m’a envoyée paître car elle était en colère contre un de mes
collègues avec lequel je n’avais rien à voir.
D’autres commerçants qui
acceptaient de donner des lots les années précédentes ont refusé sous prétexte
qu’ils ne donnaient plus qu’aux clients (alors que les parents de nos élèves
sont clients chez eux). En tant que collège, va acheter des fringues dans une
boutique, tiens…
Au début, tout nouveau, tout
beau, quand on inaugure un dispositif on reçoit un peu plus d’aide mais les
années suivantes, quand le système semble être devenu pérenne, les gens se
désintéressent, ils ont l’impression que ça va fonctionner tout seul, ils s’en
foutent. Après quatre ans de loto, je sentais que j’avais atteint une limite.
C’est là que j’ai eu un premier
déclic : mais pourquoi je fais tout ça ? J’adore enseigner, oui, mais
toutes ces fioritures autour ? Tout ce temps passé à ne pas préparer mes
cours, à ne pas corriger mes copies, à ne pas enseigner… pourquoi en
définitive ? Les élèves sont déjà contents quand ils quittent ma salle de
cours, pourquoi je m’emmerde à mendier des lots et à passer mes soirées à
organiser un truc dont la grande majorité se fout ?
En juin de cette année-là, j’ai
connu d’autres déboires : certaines classes seraient fermées aux
latinistes pour des raisons d’emploi du temps (prétexte bidon car les heures
rentraient dans les grilles horaires), ce qui a fait fondre mes effectifs.
J’ai eu le deuxième et dernier
déclic : j’ai cessé d’être professeur principal, j’ai quitté le foyer,
j’ai arrêté mon club, ne me suis plus jamais représentée au CA, n’accepte plus
les heures supplémentaires.
Je continue à préparer
scrupuleusement mes cours mais ne perds plus mon temps dans le bénévolat ou
dans le surplus. (Le poste de professeur principal bénéficie d’une prime mais vu
le travail demandé, les heures supplémentaires seraient plus intéressantes… si
elles n’étaient pas imposables.)
Je me suis consacrée plusieurs
années à mon travail pour qu’en fin de compte il me chie à la gueule. Il était
temps que je retrouve le sens des priorités.
Bien sûr, j’ai eu et j’ai encore
des élèves géniaux (je ne parle pas forcément en terme d’intelligence mais en
terme d’humanité) que j’adore et que je m’efforce d’aider, de guider, de rendre
autonome du mieux que je peux. Les élèves sont d’ailleurs pour moi le point
POSITIF de ce métier. (Même s’il y a des petits cons à tous les étages, comme partout.)
La hiérarchie… je n’ai plus
confiance en elle : trop d’entourloupes, d’hypocrisie, de langue de bois,
de propositions vides de sens dans des réunions stériles. J’ai souvent eu l’impression
d’être confrontée à des gens complètement déconnectés de la réalité.
Je me
souviens d’inspecteurs venus nous présenter ce qu’ils appelaient les
« tâches complexes » qui étaient censées remobiliser et intéresser
l’élève. Ils avaient conclu en disant : « ça marche très bien en
prépa ! » … En prépa ?! Avec des jeunes triés sur dossier de 18/19 ans ?! Et
avec des collégiens en zone rurale, c’est la même chose peut-être ?! Enfin,
je n’ai peut-être pas encore rencontré les glorieux êtres qui sauront me
redonner foi en l’éducation nationale.
Petit à petit, donc, je me suis
recentrée sur l’essentiel : mon foyer, mes amis, mes écrits, mes loisirs.
Et un beau matin, avant d’aller au collège, j’ai réalisé : « ha… Si
j’étais rentière… Si je gagnais au loto,
je n’y mettrais plus les pieds… »
Mon travail devint alimentaire.
Il me faut des sous pour m’amuser, me nourrir, me loger…. Et c’est tout.
Je n’en changerais pas parce que
je sais très bien qu’aucune activité rémunérée ne saurait me satisfaire. Je
n’ai pas d’ambition de carrière. Je n’attends rien du monde. J’aime écrire, je
veux écrire, en toute liberté, comme je veux, quand je veux et ne me soumettre
à aucun diktat de mode.
Je resterai professeur car, après
avoir supprimé le superflu, ce métier m’offre le temps nécessaire pour me
consacrer à mon épanouissement personnel. Je prends du plaisir à enseigner même
si, selon les périodes, des vagues d’ennui me submergent (refaire les mêmes
programmes tous les ans, répéter les mêmes notions jour après jour…).
Mais je vais avoir le privilège
de voir grandir mes enfants puisque nous aurons des horaires sensiblement
pareils. Je vais pouvoir écrire, voyager, profiter de la vie. Que
demander de plus ?
Rien, il suffisait juste que j’en
prenne conscience. Cela fait presque 9 ans que je suis prof, l’illusion aura
duré 7 ans.
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